par
Pierre JOUVENTIN et François RAMADE
Vous avez récemment approuvé la demande des chasseurs et éleveurs qui proposent de recompter les loups, afin de réduire les attaques sur les moutons, estimant que les dénombrements officiels de l’Institut Français de la Biodiversité sous-estiment leur population. Or, dans le Plan-loup actuel, ce chiffre détermine le nombre à abattre par le service d’Etat spécialisé, 20% étant éliminés chaque année, soit -par dérogation- plus de 100 individus sur 650 d’une espèce protégée en Europe par les Conventions de Bonn et Berne dont la France est signataire…
Le personnel de l’IFB est pourtant réputé dans les milieux scientifiques et naturalistes pour son sérieux, n’en déplaise à leur supérieur Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture, qui a estimé le 21 octobre au Congrès des élus de montagne devant les syndicats d’éleveurs, tous d’accord pour une fois, que le loup est un problème de dénombrement… Sans doute l’élu rural Christian Hubaud est-il plus fiable que les chercheurs spécialisés en démo-écologie des grands prédateurs, lui qui -près du village où un loup braconné vient d’être pendu devant la Mairie – a estimé les loups français à 60.000, soit plus que le total de la population européenne ! En tout cas, le remède est radical : il suffit de corriger le compteur pour abattre plus de loups et acheter la paix sociale !
Nous comprenons les doléances des éleveurs mais notons aussi qu’ils sont indemnisés de leurs pertes par l’aide publique. Outre le remboursement des brebis tuées au double de leur valeur, l’Etat finance le matériel, le personnel (2500€/mois par berger) et les chiens de protection (300€ à l’achat, plus 652€/an pour l’entretien). Les sondages montrent que 80% de la population française souhaite la cohabitation avec le loup et c’est avec plaisir que cette écrasante majorité de citoyens dédommage ces attaques traumatisantes. Mais elle aimerait que ces indemnités ne soient attribuées que si le troupeau est bien gardé, ainsi que cela est contrôlé à l’étranger (alors qu’en France, la majorité des attaques sont étonnamment concentrées sur un quart des élevages). Or, d’après la Cour des Comptes, seules 15% des attaques dédommagées sont attribuées avec certitude au loup ! Avant le retour du loup en 1992, l’élevage ovin n’était déjà pas compétitif économiquement par rapport aux autres pays et les dizaines de milliers d’attaques annuelles de chiens errants sur les moutons étaient comptabilisées alors que curieusement, ces attaques de chiens errants semblent avoir instantanément disparu depuis que celles du loup sont indemnisées…
Rappelons qu’aucune attaque sur l’homme n’a été rapportée, que le loup est devenu à peu près impossible à observer tant il est méfiant et qu’il est donc autrement plus difficile à compter que les moutons. Aucun chiffre précis n’est en réalité possible par qui que ce soit, pas plus d’ailleurs que pour les 1 à 2 millions de sangliers pullulant dans notre pays et autrefois la proie favorite du loup… Le prédateur est présent aujourd’hui à toutes nos frontières et en augmentation partout, n’étant pas persécuté comme chez nous. Les pays à tradition pastorale comme l’Italie ou l’Espagne en ont interdit l’abattage alors qu’ils en comptent deux et quatre fois plus que nous. Leurs éleveurs estiment que c’est une gêne qui leur fait perdre du temps et de l’argent mais relativement facile à contrôler depuis toujours par le triptyque bergers-clôtures la nuit-chiens. Par contre, chez nous, il a fallu que les éleveurs réapprennent l’ancienne culture de la protection des troupeaux et en particulier la conduite délicate des patous.
Il faut savoir que les loups en meute sont inféodés à un territoire (de 200-300 km2 dans les Alpes) alors que les solitaires se déplacent sur des centaines de km traversant notre pays en quelques jours pour chercher un domaine de chasse et un conjoint afin de fonder une nouvelle meute. Or les scientifiques nord-américains ont démontré, en équipant d’émetteurs les rescapés des meutes décimées par les chasseurs, qu’elles éclatent lorsque le couple dominant est abattu… Les biologistes savent depuis un demi-siècle que ce couple est seul à se reproduire dans la bande, les autres participant seulement à la chasse et à l’élevage collectif des jeunes. Cette castration psychophysiologique des dominés cesse quand ils deviennent des solitaires erratiques, comme en ce moment en France… Les adultes expérimentés ayant été abattus, les survivants sont incapables de chasser les animaux sauvages difficiles à capturer et ils se rabattent sur des proies plus faciles les animaux domestiques… Bref, en abattant les dominants avec des carabines à longue portée équipées de lunettes de visée nocturne, on essaime les meutes et on pousse les survivants sur les moutons s’il faut en croire les seules données scientifiques connues ! Une étude comparant les différentes méthodes de protection des troupeaux contre les grands prédateurs vient de paraître dans Global ecology and conservation : elle conclut que la méthode létale est inefficace alors que la clôture électrique évite plus de 75% des attaques !
Bref, la gestion française du loup est un échec. De 2010 à 2020, le quota d’abattage est passé de 10 à 20% alors que les attaques ont fortement augmenté… Notre pays de paradoxes est à la fois celui qui dépense le plus pour protéger les moutons et celui qui compte le plus d’attaques : 25 moutons par loup et par an, 60.000€ dépensés par loup abattu… Chaque année, le Ministère de la transition écologique organise une consultation publique par internet pour fixer le prochain quota d’abattage. 80 à 90% des réponses demandent réduction de ce quota et, chaque année, il augmente : veut-on décourager les français de la démocratie ?
En définitive, il est pour les écologues inadmissible que notre pays s’avère incapable de protéger une espèce comme elle en a pris l’engagement au niveau international, et qui de plus ne soulève selon toute apparence aucune difficulté dans les pays voisins du nôtre qui ont opté pour la protection du loup et l’écotourisme, source de revenus complémentaire à l’élevage… Quand en France la gestion du loup consistera-t-elle non pas à en tuer le plus grand nombre, mais à réduire leurs attaques sur les moutons ?
Pierre Jouventin, Dr ès sciences, 40 ans Directeur de recherche au CNRS en écoéthologie, 13 ans Directeur de laboratoire CNRS d’écologie des animaux sauvages, auteur de « Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble » paru en 2021 chez humenSciences.
François Ramade, Professeur Honoraire d’Ecologie et de Zoologie à la Faculté des sciences d’Orsay (Université Paris-Saclay), est le seul français Membre d’Honneur français de l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), Président d’Honneur de la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN), auteur de 27 ouvrages d’écologie dont 5 traités généraux ou spécialisés, traduits au total en 9 langues.
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